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Laetitia Levy, Designer

Texte de Aziz DAKI, critique d'Art, journaliste à Aujourd'hui le Maroc (2004)

 

Nous vivons à une époque où des objets de toutes tailles investissent notre espace intérieur.

Il y a ceux auxquels on n'a pas toujours le loisir de se soustraire, appareils électroménagers, télévision, chaîne hi- fi, ordinateur etc. , et ceux fabriqués à la manière d'un appendice du corps humain, et qui ne sont là que pour satisfaire aux différentes positions de ce corps lorsqu'il ne veut pas rester debout : chaises, fauteuils, lit… Il y a aussi ceux qui s'usent à la longue, l'habitude de les voir les efface et ils finissent par s'estomper. D'autres, en revanche, grincent, cognent pour rappeler opiniâtrement qu'ils sont là. Il existe aussi d'innombrables ustensiles réservés à l'usage domestique, des livres quelquefois lus, divers objets disposés pour la décoration, et d'autres pour combler l'espace jusqu'à sa disparition.

C'est dans une optique aux antipodes cette dernière catégorie d'objets encombrants que Laetitia conçoit les siens. Rien qu'un peu, le plus petit peu de matière exigible, pour donner vie à des objets avec de l'espace autour. C'est cela qui semble caractériser le faire de Levy.

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que ses créations, dénuées de toute lourdeur et sans emphase, soient d'une taille réduite. Ses objets, on les voit, ils sont présents parce que, loin d'être vainement boursouflés, ils sont grattés jusqu'à l'indestructible. Et si l'on se hasarde à employer l'une de ces qualifications qui font tenir dans l'énoncé d'une expression la démarche esthétique d'un créateur, c'est manifestement de design minimaliste dont il faudrait parler ici.

De même que l'apparence épurée des objets de Laetitia Levy semble obéir à quelque loi d'économie, une semblable mesure caractérise le complément qu'ils sont appelés à mettre en évidence. Ses vases, par exemple sont conçus pour porter une seule fleur. Rien de touffu, ni d'abondant dans ces soliflores qui soulignent le feuillage, la tige de cette unique fleur. Cette "mise au net" confère à la rose la présence de l'arête, de ces choses nues.

Les rotondités et les formes anguleuses se disputent la configuration de la plupart des créations de Laetitia Levy. D'une part, des bords anguleux et strictement coupés pour présenter des extrémités impeccablement pointues (Ora, Maggenor, Ashtray ) et d'autre part, ce profil concave, parfaitement cambré des Cardières et des Supwine. Il serait peut-être arbitraire de vouloir associer une idée érotique à la prédilection du designer pour ce genre de configurations, mais force est de constater que certains objets l'évoquent d'une façon criante. C'est ainsi qu'une entaille ajoutée au bord d'une cardière aux lignes courbes change cet objet en un cendrier pour gros cigares. Ou encore le Crosswine, constitué d'entrelacs de cuir littéralement affaissés, et qui ne prennent vie, pourrait-on dire, qu'une fois la bouteille enlacée.

Si dans le vaste domaine que recouvre l'expression arts plastiques, les créations sont de bout en bout l'œuvre de celui qui les signe, le design repose sur le travail en commun de deux intervenants au moins: celui qui conçoit et celui qui fabrique.

Pour leur réalisation industrielle, Laetitia Levy a choisi de confier ses dessins à des fabricants marocains. Et après maints échanges de vues, qui n'ont pas toujours été dépourvus de heurts, comme c'est le cas lorsque l'exigence de la perfection pousse jusqu'à ses limites le savoir-faire de celui qui meut en objet la surface plane d'un dessin, Laetitia Levy a trouvé son bonheur chez les fabricants du Royaume. Toutes les créations qu'elle expose aujourd'hui ont été fabriquées au Maroc. L'accord est au demeurant parfait entre la designer qui crée des formes et les fabricants qui donnent corps à ces formes. Atteste de cela cette liberté qu'a Laetitia Levy de mettre un même modèle en des matières différentes. Chaque objet a ses avatars, le Curflor, par exemple, existe en aluminium, en bronze, en plexiglas et en céramique. Le passage d'une matière à une autre modifie complètement son apparence. Or chacune de ces matières nécessite un traitement spécifique, ce qui ajoute à la difficulté de matérialiser les dessins en formes palpables.

Nous pensons que Laetitia Levy aurait été quelque peu freinée dans sa propension à adopter diverses matières pour ses créations sans ce précieux appui qu'elle a trouvé dans le savoir-faire des fabricants du Maroc.

C'est le 5 juillet 1969 à Paris que Laetitia Levy est née. Elle a commencé à vagabonder dans le monde dès son plus jeune âge et il serait trop long de citer tous les pays où elle a séjourné.

Disons simplement qu'elle connaît un bon nombre de ceux des quatre continents les plus peuplés. Laetitia Levy étudia le design pendant quatre ans, de 1990 à 1994, à l'Université de Carleton à Ottawa au Canada. Ses créations ont été exposées pour la première fois au Salon international de "Maison & Objet" à Villepinte en 1997. Depuis, elle travaille assidûment à enrichir sa collection en créant des formes nouvelles.

Laetitia Levy est une jeune designer. Elle fait partie de cette race de vagabonds que la seule culture du pays dont ils héritent ne saurait en aucun cas satisfaire. De son errance à travers le monde, Laetitia Levy a appris à chercher la substantifique moelle des choses et à rejeter le fard de la luxuriance. De là cette sobriété qui caractérise ses créations.

Les objets de Laetitia Levy ont été conçus pour pénétrer nos maisons. Ils y entrent sans tintamarre ni fracas. Et si on se surprend à avoir du plaisir à les manier, c'est parce qu'ils sont de merveilleuses offrandes au plaisir du regard et du toucher. Laetitia Levy crée une brèche dans notre monde d'utilité en chargeant de beauté des objets voués à l'utilisation quotidienne.

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